La douce moitié

Il y a un passage dans Bonheur d'occasion qui m'a marqué cette semaine. "On passe la moitié de sa vie à l'apprendre, son métier, pis le reste de sa vie à l'oublier."

Un passage de ce genre n'est peut-être pas le secret de la popularité du roman, mais ça donne des munitions intéressantes lors de discussions avec des collègues de bureau plus expérimentés. Je n'ose pas évoquer Sulley ici...

"Peux-tu me rappeler tu es rendu dans quelle moitié de ta vie?"

"Pourquoi?"

"Juste comme ça. Une question innocente. Puis c'est beau comme concept, la médiane de la vie, non? Ça fait changement du soir de la vie ou autres trucs poétiques du genre."

"Je calcule ça et je te reviens."

Sulley ne rate jamais une chance de faire des calculs. Même si c'est un vrai personnage de roman, certains commencent toutefois à soupçonner qu'il existe vraiment. Que je ne l'ai pas inventé!

Je lui ai déjà dit amicalement que s'il n'existait pas, je ne verrais aucune raison valable pour l'inventer. Il ne m'en a jamais tenu rigueur. Je lui dois bien.

Mon édition de Bonheur d'occasion est une "nouvelle" édition, même si ça fait déjà un bon moment que je l'ai achetée. Je ne sais pas combien de temps elle restera nouvelle, mais il me semble que je ferais attention avant de publier quelque chose de nouveau qui ne l'est pas vraiment.

Surtout si c'est une édition revue et augmentée... Revue parce que ce n'était pas correct la première fois? Augmentée parce que l'on avait oublié quelque chose au départ? Ça ne fait pas sérieux!

Non, si jamais je publie un jour quelque chose, pas question de faire les choses à moitié. Je prendrai le soin de préciser que c'est la première et dernière édition, et qu'elle est complète. Pas un seul mot manquant. Fixée pour l'éternité. La version définitive.

J'ai enfin terminé la lecture de mon livre de gestion. Je peux donc me consacrer à terminer le grand classique de Gabrielle Roy, 73 ans après sa publication.

"À la médiane de sa vie, il fut pris d'une irrésistible envie de changer de métier. Il se disait que de cette façon, juste au moment de mourir, il serait au sommet de son art."

- pas un extrait de Bonheur d'occasion